La femme qui s’indigne – Le féminisme de guérilla de Carole David

Par Bertrand Laverdure
Photos : Éric Théoret

Carole David UNÉQLe féminisme de Carole David, tel qu’exprimé dans son œuvre, est une lutte acharnée contre ce qui la réduit en miettes, l’abandonne, mutile sa psyché. C’est à la fois un mémorandum des violences faites aux femmes et un rappel constant de l’influence qu’a eue l’œuvre féministe décapante de Josée Yvon dans sa vie.

Lauréate, cette année, du deuxième prix des libraires de poésie pour son neuvième recueil L’année de ma disparition, paru aux Herbes rouges, Carole David n’est plus cet ovni littéraire qu’elle était, clame-t-elle, lorsqu’elle a publié son premier livre de poésie Terroristes d’amour, prix Nelligan 1986 (remis ex-aequo à France Mongeau). La jeune femme qui, à l’époque des débuts de l’enseignement de la création littéraire à l’UQAM, fut laissée plus ou moins à elle-même avec trois directeurs de maîtrise, termina tout de même son mémoire en création sur l’œuvre de Josée Yvon. Le titre original de cet essai qui est devenu Terroristes d’amour était «Filles-métamorphoses», évocation du premier livre de Josée Yvon, Filles-commandos bandées (1976), qui publia d’ailleurs Filles-missiles en 1986. Pour montrer à quel point les deux femmes se respectaient, Carole David a écrit, à la demande expresse de Josée Yvon, une préface à son récit Danseuses-mamelouk publié chez VLB en 1982.

Carole David UNÉQJeune intellectuelle féministe des années 70-80, dès sa sortie de l’université, elle fut chroniqueuse des revues littéraires pour Le Devoir et critique dans Spirale. Professeure de littérature au Cégep du Vieux-Montréal durant plusieurs années, elle savoure maintenant sa retraite juchée tout en haut d’un immeuble neuf, dans un appartement qui lui donne une vue imprenable sur un champ immense, jonché de balles de golf. Elle soulève l’ironie de ce paysage si loin des «fillettes guérillas aperçues en rêve» qu’elle mentionne dans L’année de ma disparition. Sourire en coin, l’ironie nerveuse toujours prête à sauter sur l’incongruité du réel, Carole David n’en dégage pas moins une élégance de grande dame des lettres qui n’aurait jamais cessé d’être irrévérencieuse.

Carole David UNÉQElle nous offre, à Eric le photographe et à moi, une eau délicatement citronnée, dans une carafe en verre sortie tout droit d’un tableau des maîtres flamands. Esthète et femme de goût, son tout petit logement est un modèle de raffinement sobre qui évoque les années 50 et 60. Discutant avec elle, avant d’entreprendre cette entrevue, je remarque dans une de ses bibliothèques un double livre en bois, curieux. Elle me le tend, en me confiant qu’il s’agit du trophée qui lui a été remis pour le prix des libraires de poésie 2016. Deux coques de livres en bois sculptés, agrémentés de pages qui ne s’ouvrent pas, de la taille de deux petits dictionnaires, sont collés ensemble et sur celui du dessus, est buriné le titre du livre gagnant et le nom de la lauréate. Nous émettons tous les deux des doutes sur l’aspect réussi de l’objet. La poète n’a jamais eu peur de la causticité.

Carole David UNÉQ-04Toujours rebelle, son imaginaire n’épargne rien ni personne. C’est une femme de feu, qui brûle encore. Cette fougue, elle la partage avec de jeunes poètes actuelles qui la lisent, l’apprécient ou marchent dans ses traces. Que ce soit Maude Veilleux, Daphné B., Catherine Cormier, Chloé Savoie-Bernard ou Erika Soucy, son univers résultant d’un mélange d’influence qui va de Joyce Mansour à Anne Sexton, de Sylvia Plath à Josée Yvon, est complètement en phase avec ce qui intéresse ces nouvelles poètes qui font tranquillement leur place.

Sur son bureau d’écriture trône un livre de Joyce Mansour, Déchirures, publié aux éditions de Minuit, une icône de style naïf représentant la sainte vierge et une bouteille de parfum chic munie d’une poire distributrice, qui est en fait le trophée qu’on lui a attribué, conçu par Vickie Gendreau lors d’un Gala de l’Académie littéraire du XXIième siècle (événement annuel initié par Mathieu Arsenault, Catherine Cormier et plusieurs autres). Chez elle, le kitsch du passé côtoie le kitsch d’aujourd’hui. Son ordinateur est ouvert sur sa propre page Facebook. L’actualité est devenue pour elle une source d’indignation et de mauvais souvenirs. La poète, vive et en colère, restera jusqu’à sa mort une féministe de guérilla et une indignée.

À lire, des poèmes inédits de Carole David, «Trois visages d’Antigone», dans la revue de littérature et d’art moderne MuseMedusa.

 

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