Mot de la présidente — janvier 2020

Comment je suis devenue une militante

Par Suzanne Aubry, présidente de l’UNEQ

Pour paraphraser une citation célèbre de Simone de Beauvoir, on ne naît pas militante, on le devient.

Tout a commencé lorsque je suis devenue membre du Centre des auteurs dramatiques (CEAD). J’étais alors une jeune auteur dramatique (le « e » à auteur s’est ajouté plus tard, et on ne disait pas encore « autrice » à cette époque pas si lointaine…). Je venais d’obtenir un diplôme de l’École nationale de théâtre en écriture dramatique. Je vivais — comme la plupart des artistes — sous le seuil de la pauvreté, je rêvais présomptueusement d’être la prochaine Michel Tremblay et surtout, je voulais gagner ma vie avec ma plume.

Quel rapport avec le militantisme, me direz-vous ?

© Julien Faugère

Le simple fait de payer une cotisation pour être membre d’une association professionnelle, alors que je partageais un petit appartement avec ma sœur et que nous réalisions des prodiges pour payer le loyer et la nourriture, était un premier geste d’engagement. Un geste d’appui, de solidarité, d’appartenance.

J’ai vite constaté deux choses : non seulement je n’étais pas devenue la prochaine Michel Tremblay, mais il aurait fallu que j’écrive au moins deux pièces de théâtre par année et que ces pièces soient produites dans un théâtre professionnel pour vivre décemment de ma plume — et encore.

Je me suis donc intéressée aux conditions socioéconomiques des auteurs. J’ai siégé pendant quelques années au conseil d’administration du CEAD et participé à la fondation de l’Association québécoise des auteurs dramatiques (AQAD), un syndicat professionnel qui négocie notamment des ententes-cadres avec des producteurs de théâtre. Pourtant, rien ne me prédisposait à la vie de militante. J’étais plutôt timide et réservée (une des raisons pour laquelle j’avais une prédilection pour l’écriture). Je suis sans doute devenue militante par nécessité.

Comme je n’avais pas abandonné mon rêve de vivre de ma plume, j’ai commencé à écrire pour la télévision, qui était pour moi une autre façon de faire du théâtre. Avec un premier contrat professionnel, je suis devenue membre de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), qui s’appelait SARDEC au moment où j’ai adhéré. Il n’y avait pas d’entente collective entre les scénaristes et les producteurs (les deux lois québécoises sur le statut de l’artiste n’avaient pas encore été promulguées). Je voulais comprendre les tenants et aboutissants de mon nouveau métier de scénariste et je me suis présentée à une élection au conseil d’administration de la SARDEC. À ma grande surprise, j’ai été élue.

Sans le savoir, j’avais fait un pas de plus dans ma vie de militante. J’ai appris que défendre mes collègues était aussi une façon de me défendre moi-même. Que la solidarité n’était pas qu’un slogan vide, qu’elle s’incarnait dans des enjeux et des actions concrètes. Qu’il faut parfois sacrifier son intérêt immédiat pour le bien commun.

Après de longues années comme membre du conseil d’administration de la SARTEC, j’en suis devenue la présidente. Et au cours de mon deuxième mandat éclatait le scandale Cinar, cette compagnie de production contre laquelle l’auteur et dessinateur Claude Robinson avait entrepris un combat homérique — qui durera 20 ans. La SARTEC avait alors pris fait et cause pour Claude Robinson et nous avions créé un fonds pour l’aider à payer ses frais juridiques. Claude Robinson a ensuite gagné sa cause en Cour suprême, mais au prix de beaucoup de sacrifices.

Lorsque j’ai publié mon premier roman, en 2006, ma première constatation a été que, contrairement aux scénaristes et aux autres artistes qui sont sous la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma (chapitre S-32.1), les écrivain.e.s étaient sous la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs (chapitre S-32.01), qui n’oblige d’aucune façon les éditeurs à négocier des ententes-cadres. Cette injustice m’a révoltée. Pourquoi, en tant que scénariste, j’avais droit à la protection d’une convention collective qui établit les conditions minimales d’écriture ainsi qu’un filet social, et qu’en tant qu’écrivaine, je n’y avais pas droit ? Pourquoi une telle disparité entre deux métiers d’écriture ?

C’est la raison pour laquelle j’ai présenté ma candidature en 2011 au conseil d’administration de l’UNEQ. Après huit années à titre de membre du conseil, puis de secrétaire-trésorière, j’ai été élue présidente, avec le même objectif : que les écrivain.e.s soient enfin reconnus comme des artistes à part entière, au même titre que les autres créateurs, et qu’ils bénéficient de la même protection.

*****

Le gouvernement Legault a annoncé en décembre dernier, par la voix de Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications, une révision des deux lois du statut de l’artiste (voir le communiqué de l’UNEQ). Et j’entends bien, comme présidente de l’UNEQ, continuer à faire entendre notre voix haut et fort pour obtenir enfin une loi du statut de l’artiste juste, efficace et équitable.

On ne naît pas militant.e, on le devient.

8 commentaires sur “Mot de la présidente — janvier 2020

  1. Lacasse Denis

    Chère Suzanne,

    Votre présentation est une belle occasion qui m’est donnée de vous découvrir et de constater l’ampleur des défis que vous embrassez.
    Pour ma part, une anecdote parmi d’autres qui ne vous est sans doute pas étrangère: à chaque année, l’Agence du revenu varie d’interprétation sur les dépenses d’auteur que je se soumet à son attention. C’est invariable chez elle. Son interprétation des conditions de dépenses et de frais varie d’une année à l’autre selon des inconstances qui lui semblent propres et répétitives à souhait.
    Bonne chance et considérez mon soutien acquis dans votre croisade!

    • Danielle Dubé

      Certes on ne naît pas militante – pas plus que femme- on le devient… Votre parcours est inspirant, se rapproche même du mien. Que ferait-on sans toutes ces femmes, ces hommes aussi, qui s’impliquent pour sauver la littérature, particulièrement ses auteurs, auteurs ou autrices, de la même manière qu’on l’a fait pour les comédiens ? L’UNEQ a beaucoup de travail à faire. Bonne chance en ce qui concerne les futures négociations avec le gouvernement !

  2. Suzanne Aubry

    Cher Denis Lacasse,

    Merci pour votre soutien! Il nous sera précieux dans le combat de l’UNEQ pour une loi du statut de l’artiste qui protège adéquatement les écrivain.e.s.

    Pour ce qui est de Revenu Québec, l’UNEQ a réussi à faire reconnaître le droit pour les créateurs de déduire leurs dépenses dans le cadre de l’exercice de leur métier. Je vous suggère de communiquer avec Sylvie Couture, notre directrice de l’administration, pour en savoir plus.

    Bien cordialement,

    Suzanne Aubry
    Présidente de l’UNEQ

  3. Suzanne Aubry

    Chère Danielle Dubé,

    Merci pour vos bons mots! Oui, l’UNEQ a beaucoup de travail à faire, mais nous serons prendrons tous les moyens à notre disposition pour défendre les droits des autrices et des auteurs et obtenir une loi du statut de l’artiste juste et équitable !

    Bien cordialement,

    Suzanne Aubry
    Présidente de l’UNEQ

  4. Bernard Larin

    Chère Madame la Présidente,

    Je vous vouvoie parce que je vous voue une grande admiration. J’écris cela avec un sourire dans l’âme. Je sais ce que sont les combats professionnels, car, alors que j’ai été journaliste à la radio, j’ai commencé ma carrière avec un congédiement pour activités syndicales. Ça a été le début semble-t-il, car quelques années plus tard, j’ai été président du syndicat des journalistes de Radio-Canada, syndicat qui, malgré sa faible taille, deux cents vaillants membres, a tenu bon pendant une grève de huit mois pour remporter quelques belles avancées professionnelles.

    Je tiens à vous écrire parce que je lis régulièrement les communications de l’UNEQ. Je reconnais votre dévouement et je suis toujours étonné de lire les communiqués qui sont signés par vous et par notre bien-aimé directeur général. Je le crois un homme généreux et compétent, mais je m’étonne toujours de voir son nom apposé au vôtre dans les communiqués. Cette pratique n’existe pas à l’Union des artistes. Je m’étonne de cela car c’est vous que nous élisons. Le directeur général est choisi par notre CA. Très bien, mais cela ne le qualifie pas comme porte-parole à mon avis. Voit-on le nom d’un sous-ministre apposé à celui d’un-e ministre dans un communiqué? Non jamais, car celui ou celle qui représente la population c’est l’élu-e. Le-la sous-ministre n’en n’est pas moins apprécié-e pour son travail, mais c’est l’élu-e qui répond de son mandat auprès des électeurs et électrices. Il me semble que le sacrifice professionnel d’un-e élu-e doit être compensé par la visibilité qu’on lui attribue. Être à la fois autrice et présidente est une double charge. À n’en pas douter, la tâche de présidente empiète sur la tâche d’autrice. C’est pourquoi une compensation financière lui est attribuée. Mais le risque professionnel est celui de l’élu-e. Je pense que cela mérite toute notre reconnaissance et que toute la visibilité publique lui soit octroyée, comme cela se fait, je le répète, à l’UDA. Ce sont aussi les auteurs et autrices qui seront en même temps reconnu pour leur contribution militante qui entraîne toujours le sacrifice d’activités personnelles et professionnelles. Qu’on reconnaisse cela me paraît aller dans la nature des choses. En toute admiration pour vous Madame la Présidente.

    Bernard Larin

    • Suzanne Aubry

      Cher M. Larin,

      D’abord, un grand merci pour votre chaleureux message et pour la reconnaissance que vous exprimez quant à mon engagement en tant que présidente de l’UNEQ. Vous avez raison, être à la fois autrice et présidente de l’UNEQ est une double charge, mais je l’accepte avec gratitude, car la défense des créatrices et des créateurs, à une époque où leurs droits sont en péril, m’apparaît essentielle.

      Les questions de vous soulevez sont pertinentes. Il est vrai que je suis une élue et, qu’à ce titre, je suis la porte-parole de notre Union. Je n’ai toutefois aucun malaise à partager la tribune avec notre directeur général, qui est sur le terrain tous les jours et qui connaît à fond les enjeux nous concernant. Je crois sincèrement que tout cela est une question d’équilibre. Ce qui compte le plus à mes yeux, c’est que nous accomplissions notre mission de défense des droits socio-économiques des écrivaines et des écrivains le plus efficacement possible.

      Encore une fois, je vous remercie pour votre précieux soutien, d’autant plus important qu’avec le processus de révision des deux lois sur le statut de l’artiste, 2020 sera une année charnière pour faire avancer la cause des écrivaines et des écrivains que je représente.

      Avec mes salutations les plus cordiales,

      Suzanne Aubry
      Présidente de l’UNEQ

  5. Louis Hamelin

    Chère Suzanne Aubry,

    Ça fait trente ans que je me bats pour vivre de ma plume. Et là-dessus, il m’en a fallu environ vingt-cinq pour apprendre à négocier, à tenir mon bout, à dire non, mais par-dessus tout, à réclamer… Parce que l’écriture est un travail. Alors à bas la gratuité, à bas ceux qui « oublient » d’offrir un cachet… Et vive le statut professionnel ! J’ai été membre de l’UNEQ pendant 30 ans, et de la SARTEC, seulement quelques années. Mais voilà : après la signature d’un seul contrat de la SARTEC, j’avais déjà un début de fond de pension dans mon compte en banque… Vous avez raison : cette différence de traitement est totalement injustifiable. Merci de votre position sans équivoque. Vous pouvez compter sur mon appui. Solidairement,

    Louis Hamelin

  6. Suzanne Aubry

    Cher Louis Hamelin,

    Merci de tout coeur pour votre soutien et votre solidarité. Un auteur, une autrice qui se bat pour défendre ses droits défend les droits de tous ses collègues. Oui, être écrivain.e est un métier, et il n’y a aucune raison valable pour qu’on ne bénéficie pas du même statut que les autres artistes. Votre appui nous sera des plus précieux dans les mois qui viennent.

    Solidairement,

    Suzanne Aubry

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