Droit d’auteur : Les appréhensions se confirment

Espérons que l’amour de la culture exprimé par la ministre comprend le respect de la propriété intellectuelle

Après l’adoption de la Loi sur le droit d’auteur en 2012, la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction Copibec s’est inquiétée d’éventuelles pertes de revenus pour les titulaires de droits et de la possibilité que la confusion autour de la notion d’utilisation équitable mène à la judiciarisation des rapports entre utilisateurs des oeuvres et créateurs. En 2014, ces inquiétudes sont devenues réalité. En deux ans, les ayants droit représentés par Copibec ont perdu 4 millions de dollars en redevances et se sont vus dans l’obligation de présenter à la Commission du droit d’auteur du Canada une demande de tarif, ce qui ne s’était pas produit jusque-là, car les maisons d’enseignement avaient toujours accepté de signer une licence pour compenser leur utilisation des oeuvres. Une telle requête exige temps et argent. Ainsi, non seulement les ayants droit sont-ils privés de revenus indispensables pour créer et diffuser les oeuvres, mais ils doivent aussi payer pour assurer le respect de droits que la Loi sur le droit d’auteur aurait dû protéger.

Cette Loi donne lieu à une cacophonie d’interprétations. Elle permet aux utilisateurs de réclamer des concessions aux ayants droit dont on voit bien qu’elles n’ont pas pour résultat d’équilibrer les droits des uns et des autres, comme le prétendent ses partisans. Elles ont plutôt pour effet d’appauvrir les écrivains, journalistes, éditeurs et artistes en arts visuels représentés par Copibec et de fragiliser le milieu des publications. Sur Internet, ce sont les ayants droit et eux seuls qui portent le poids de la gratuité. Ce ne sont pas, en tout cas, les fournisseurs de services Internet ni les fabricants de matériel informatique. En éducation, c’est encore aux ayants droit qu’on demande à plusieurs occasions d’offrir gratuitement leurs oeuvres pour que circule en toute liberté cette culture que l’on dit apprécier, mais dont on veut payer l’accès le moins cher possible.

Ce doit être l’air du temps. La culture est mise au service des jouets informatiques, et non l’inverse. L’art, la littérature : des produits de consommation dont on ne reconnaît presque plus la valeur identitaire, surtout quand il s’agit de faire des économies. À preuve, le dernier budget québécois, où les maisons d’édition, comme n’importe quelle autre entreprise, ont vu leurs crédits d’impôt réduits de 20 %. « Battez-vous ! », a lancé la ministre de la Culture dans une entrevue au Devoir, comme si le milieu culturel ne se battait pas sans relâche, pour créer, pour diffuser, pour se renouveler. Faudrait-il en plus qu’il lutte pour convaincre la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise que toute réduction de son financement lui est préjudiciable, comme si c’était un secret, comme si la nouvelle allait créer une surprise ?

Sisyphe

Il n’y a rien de joyeux dans tout cela. On pourrait même comparer le destin de ceux qui créent la culture à celui de Sisyphe, condamné à pousser vers le sommet un rocher qui dévale l’autre versant aussitôt arrivé. Mais, nous dit Camus, qui était certainement doté d’un bel optimisme, il faut imaginer Sisyphe heureux. Tâchons donc de partager l’enthousiasme de la ministre de la Culture qui se réjouit de l’augmentation de 1 % du budget de son ministère. Applaudissons l’octroi de 110 millions répartis sur sept ans pour l’essor du secteur numérique et essayons d’oublier que c’est le développement des nouvelles technologies qui a servi de prétexte à l’érosion du droit d’auteur. Essayons aussi d’oublier qu’un autre secteur, celui des librairies, s’étiole et continuera de s’étioler si la ministre ne lui offre pas bientôt autre chose que le refus du prix réglementé, une proposition pour laquelle, justement, tout le milieu s’est battu pendant plus de deux ans…

Les propos de la ministre apportaient tout de même quelque espoir. Reconnaissant que l’amour de la culture s’apprend à l’école, elle s’est dite prête à dialoguer avec le ministre de l’Éducation, entre autres à propos des programmes de français. Espérons que cet amour de la culture comprend le respect de la propriété intellectuelle et qu’elle soutiendra, pendant les négociations avec Copibec, le droit des créateurs et de leurs diffuseurs à tirer de leur travail un revenu légitime.

(Texte de Danièle Simpson, présidente sortante de Copibec et présidente de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, publié dans Le Devoir, 20 juin 2014.)
 

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