Mot de la présidente — Une loi à l’automne pour en finir avec les injustices

Par Suzanne Aubry, présidente de l’UNEQ — lettre ouverte publiée dans La Presse le 25 septembre 2021 et dans Le Droit le 28 septembre 2021.

Les écrivaines et écrivains québécois ont assez attendu ! Le temps presse plus que jamais : le gouvernement du Québec doit respecter sa promesse et déposer une nouvelle loi sur le statut de l’artiste dès cet automne.

Nous sommes 1 600 écrivaines et écrivains, membres de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), et nous sommes tous des artistes à part entière. Nous écrivons des romans, des livres jeunesse, des essais, de la poésie, de la bande dessinée, des livres pratiques, des livres scolaires…

Suzanne Aubry (Photo : Audrée Wilhelmy)

C’est notre métier, notre savoir-faire, notre compétence. Comme toute personne qui travaille, nous consacrons à notre activité de longues heures. Toutefois, contrairement aux autres travailleurs, nous prenons d’importants risques financiers pour y parvenir.

Nous sommes le premier maillon de la chaîne du livre. Sans nos manuscrits, il n’y aurait ni éditeurs, ni distributeurs, ni libraires, et encore moins de lecteurs. Et pourtant, ce premier maillon demeure fragile parce qu’il est peu structuré.

Failles dans la loi actuelle

Comment se fait-il que nos écrivains doivent négocier seuls leurs conditions de travail en 2021, alors que la grande majorité des autres artistes bénéficient d’ententes les encadrant ? En privant notre secteur de la négociation collective, la loi actuelle prive nos membres de leur droit syndical, de leur liberté de s’associer pour défendre ensemble, solidairement, leurs droits les plus élémentaires.

Comment se fait-il que nos artistes, lorsqu’ils sont victimes de harcèlement, d’agressions ou d’un milieu de travail toxique, ne peuvent bénéficier de recours pour leur venir en aide ? La loi actuelle rend « négociables » les politiques de prévention du harcèlement et prive l’ensemble des écrivains d’un syndicat fort pour les soutenir et agir à leurs côtés.

Comment se fait-il que les sommes d’argent public importantes investies dans notre milieu ne sont pas assujetties à l’application de conditions de travail minimales négociées qui garantissent de bonnes pratiques professionnelles ?

Réformer les lois sur le statut de l’artiste, ce sera gagnant pour tout le monde. Un milieu davantage structuré est un milieu plus respectueux, plus efficace, plus transparent et plus sain.

La ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, a publiquement donné un avis favorable à nos revendications. Les trois partis de l’opposition à l’Assemblée nationale nous ont assurés de leur soutien sans faille. En mai dernier, cette même Assemblée a unanimement voté une motion demandant au gouvernement de respecter son engagement de réformer les lois sur le statut de l’artiste.

En offrant aux écrivaines et écrivains le statut d’artiste à part entière, en leur donnant le droit à la négociation collective, le Québec permettra une avancée considérable qui sera vue comme un exemple à suivre ailleurs dans le monde, et votre gouvernement enverra un signal fort sur l’importance réelle qu’il accorde aux artisans de notre littérature.

Nous nous tournons maintenant vers vous, Monsieur le Premier Ministre. Nous savons que vous aimez la lecture. Nous savons que vous trouvez, dans les livres, matière à vous évader et à vous informer. Les artistes que vous aimez tant ont besoin de vous, maintenant. Elles et ils ont besoin d’un engagement fort de votre part afin de réparer une profonde injustice qui n’a que trop duré.

Une promesse, c’est une promesse !
 

4 commentaires sur “Mot de la présidente — Une loi à l’automne pour en finir avec les injustices

  1. Coffre-Miron Martine

    Est-ce que le statut d’artiste améliorera la situation de tous les auteurs, auteures… je suis sceptique.

    • UNEQ

      Si l’UNEQ obtient le droit de négocier des ententes collectives, nous pourrons rehausser les ententes contractuelles et les conditions de travail de ceux et celles qui publient au Québec. Il y aura des conditions minimales à respecter, comme dans d’autres secteurs d’activité.

  2. Line Arsenault

    Bonjour,  »
    « Rehausser les ententes contractuelles » : est ce en rapport avec le 10% de droits d’auteur courant? « Rehausser les conditions de travail de ceux et celles qui publient au Québec »: Quelles sont d’abord ces conditions de travail?

    • UNEQ

      « Quelles sont d’abord ces conditions de travail? » Vous trouverez la réponse à cette question dans le mémoire que l’UNEQ a déposé en janvier 2021 au ministère de la Culture et des Communications du Québec : https://www.uneq.qc.ca/wp-content/uploads/2021/01/memoire_statut_artiste.pdf

      Extrait :

      Bien que plusieurs maisons d’édition offrent de bonnes conditions contractuelles, la majorité des contrats évalués par le service juridique de l’UNEQ contiennent des clauses inacceptables ou abusives qui dépossèdent souvent les écrivaines et les écrivains de leurs droits. En l’absence d’ententes collective, de mauvaises pratiques contractuelles s’instaurent. […] Chaque semaine, entre trois et cinq consultations sont ainsi effectuées par l’équipe de l’UNEQ ou par l’un de nos partenaires, ce qui nous a permis de compiler de nombreuses pratiques abusives.

      – Cessions complètes de droits : il n’est pas rare de trouver des contrats qui imposent une cession de droits complète, sans limitation de durée et valable dans le monde entier (alors que la Loi S-32.01 impose une cession circonscrite).

      – Droit de préférence abusif : l’éditeur étend son droit « pour les 10 prochaines années », « pour les 10 prochaines œuvres », « pour toute œuvre de même nature », ou « pour tout ouvrage traitant du même sujet », en violation de l’esprit de la Loi.

      – Étendue abusive de l’entente : le contrat prévoit s’appliquer à des droits encore inexistants, par exemple lorsque « l’auteur cède […] tous droits connus et non encore connus qui permettent et permettront de communiquer l’œuvre au public », ou encore lorsque l’entente « s’applique à tous les droits cités en annexe et aux droits à venir ».

      – Renonciation de l’écrivaine ou de l’écrivain à tous ses droits moraux.

      – Une reddition de compte soit très approximative, incompréhensible ou inexistante pour l’écrivaine ou l’écrivain. Aucune pénalité n’est prévue dans la Loi S-32.01 pour sévir contre les éditeurs en retard ou en défaut de paiement.

      Le traditionnel 10 % de redevances sur les ventes n’est établi dans aucune loi. C’est une coutume assez ancienne et contestée depuis longtemps (dans les années 1950, des auteurs se plaignaient déjà de ne recevoir que 10 %). Actuellement, en l’absence d’ententes collectives, cela fait partie des conditions que les écrivaines et écrivains doivent eux-mêmes négocier avec un éditeur… et devinez qui a le gros bout du bâton ?

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