Entrevue de Corinne Larochelle par Louise Desjardins

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Louise Desjardins

Louise Desjardins – Plusieurs mois après la lecture du Parfum de Janis, je suis encore sous le charme de cette histoire troublante que tu as écrite à l’occasion d’une résidence d’écriture à Lisbonne. Est-ce que la distance t’était nécessaire pour mettre au jour ce malaise qui semblait être resté en toi depuis longtemps, pour l’exorciser en quelque sorte ?

Corinne Larochelle — Le voyage au Portugal m’a donné l’espace essentiel pour amorcer une plongée dans le passé, les souvenirs. Le fait de larguer les amarres, d’être expulsée de son quotidien habituel et de se trouver sans repère (je connaissais à peine quelques mots de portugais avant de partir) est en soi libérateur. La solitude en terre étrangère, aussi, déclenche le processus d’écriture. Je me rappelle le deuxième jour suivant mon arrivée : je suis allée visiter le château de São Jorge et, tout à coup, sous le soleil lumineux du mois de mai, j’ai cherché un coin d’ombre pour écrire, car la pulsion des mots commandait, les phrases se formaient, la scène du début du livre se mettait en place. Je sentais que le lieu où je me trouvais, à des milliers de kilomètres de la situation d’enfance évoquée, y était pour quelque chose. C’était un moment magique : je savais enfin par quel bout raconter la scène de l’enfant devant sa mère en pleurs, la scène à l’origine de l’écriture de ce livre. Le paradoxe de la situation, soit être touriste dans une ville, s’abreuver à la nouveauté et, en même temps ou en parallèle, tourner son regard vers l’intérieur ne m’a pas gênée. Au contraire, je crois que l’exotisme des lieux me donnait un appui pour ne pas sombrer trop douloureusement dans les souvenirs évoqués.

Corinne Larochelle (©Annie Lafleur)

LD — Cette histoire concerne tes proches, ta mère en particulier. J’ai vu dans les remerciements qu’elle t’a donné l’autorisation de publier sa photo sur la couverture de ton livre. Dans ce qui me semble une autofiction, as-tu éprouvé quelque réticence à raconter ces évènements très intimes concernant ta famille et comment tes proches ont-ils réagi en lisant ton roman (s’ils l’ont lu !) ?

CL — Oui, j’ai beaucoup hésité à raconter des événements qui mettent en scène mes proches. Puis, après quelques années à laisser mûrir le projet, j’ai décidé de plonger en me disant que je pouvais, à la dernière minute, ne pas le publier. J’étais consciente qu’il s’agissait d’une sorte de ruse avec moi-même pour désactiver l’autocensure. Un tel livre ne peut s’écrire que dans un espace de liberté, sinon il n’en vaut pas la peine. Je me suis dit que je n’écrivais pas contre ma famille ou mes parents, mais avec eux. J’ai aussi pensé à bien préparer mes proches avant la publication, j’ai cherché la meilleure façon de le faire. Finalement, j’ai dû trouver les bons mots, car les personnes les plus concernées par ce livre ont bien réagi lorsque je leur ai annoncé la teneur de celui-ci. Et elles l’ont toutes lu ! En somme, que cette prise de parole dans l’espace public soit « acceptée », respectée par les miens m’a fait grandir, nous a fait grandir. Je peux le dire, maintenant que j’ai un peu de recul.

LD — Tu as écrit plusieurs recueils de poésie (dont Femme avec caméra que j’ai beaucoup aimé) dans lesquels on sent une appropriation de l’espace féminin, de sa vulnérabilité qui contient sa force. Il y a également cette sensibilité qui frôle la détermination dans ton roman, comme si le fait d’avoir fréquenté dans l’enfance ces zones douloureuses avait permis de développer chez toi une faculté de rebondir dans l’écriture et dans la vie, à tisser et métisser des univers différents. Est-ce que les deux formes d’écriture se confondent chez toi ou le roman t’a-t-il permis d’aller plus loin ou d’une autre manière dans ton parcours ?

CLFemme avec caméra m’a donné l’occasion de m’approcher de la thématique mère-fille. En fait, en lisant la biographie de Diane Arbus, j’étais fascinée par tout ce qui avait trait à la maternité : elle comme mère fragile, fille d’une mère dépressive. Vers le milieu de mon recueil, il y a cette phrase : « Je ne connais bien ma mère que lorsqu’elle pleure », phrase que m’a inspirée la relation de Diane Arbus avec sa mère, mais surtout phrase qui a une grande résonance en moi puisqu’elle convoque un des thèmes du roman : l’exposition de l’enfant à la souffrance maternelle. Écrire sur le suicide de Diane Arbus a été éprouvant — le suicide me renvoyant à mes propres peurs — mais ce travail, d’une certaine façon, a préparé le terrain pour un tracé de la mémoire. Dans ce cas, la poésie a été une manière oblique d’aborder le thème mère-fille avant que je m’autorise à plonger vraiment dans ma propre histoire. Je crois que sur le plan psychique, j’avais besoin du mode narratif propre au roman tout en essayant de trouver le ton juste entre pudeur et impudeur.

LD — À la fin du roman, tu remercies plusieurs personnes qui t’ont lue et accompagnée pendant l’écriture de ton roman. C’était important pour toi d’être soutenue tout au long de ton travail et comment as-tu reçu toutes ces lectures et commentaires ?

CL — Ce livre doit beaucoup à l’amitié. J’accorde beaucoup d’importance aux échos, aux commentaires de mes ami(e)s les plus proches. Comme je les choisis avec soin (!), leurs remarques sont souvent des plus pertinentes. Mais c’est surtout à l’amitié que je veux rendre hommage, ces quelques liens uniques qui sont comme de grandes histoires d’amour, avec des hauts et des bas, mais qui sont surtout reconnaissables à ce goût de partager des moments forts de la vie, dont des discussions liées à l’écriture.

LD — Es-tu satisfaite du travail éditorial effectué sur ton roman, de la réception qu’il a eue ?

CL — Je suis plus qu’enchantée du travail accompli avec mon éditrice, Geneviève Thibault. Ça a été un travail de longue haleine, qui a exigé minutie et tact de part et d’autre. Dès que je lui ai présenté l’esquisse du projet, Geneviève m’a encouragée et nous avons développé une relation de grande complicité. Toujours à l’écoute du texte, elle a su me guider. Il s’agissait surtout de nourrir le caractère « à hauteur d’enfant » de la narration de certains chapitres et d’éviter l’écueil du pathos. Pour ce qui est de la réception du livre, je suis très touchée par tous les échos que je reçois depuis sa parution. J’ai eu plusieurs témoignages de personnes qui ont lu le livre en réfléchissant à leur propre roman familial. Bref, je crois que Le parfum de Janis fait son chemin en douceur.

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