Examen de la Loi sur le droit d’auteur : mémoire de l’UNEQ

Mémoire au Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes (24 avril 2018).

 

Préambule

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) est un syndicat professionnel fondé à Montréal en 1977. Regroupant plus de 1 600 écrivains, l’UNEQ travaille à la promotion et à la diffusion de la littérature québécoise au Québec, au Canada et à l’étranger, et à la défense des droits socioéconomiques des écrivains.

L’UNEQ a été reconnue, en 1990, comme l’association la plus représentative des artistes du domaine de la littérature, en vertu de la Loi sur le statut professionnel des artistes en arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs (L.R.Q., chapitre S-32.01). Par conséquent, l’UNEQ s’exprime au nom de tous les écrivains québécois.

L’UNEQ a aussi été accréditée, en 1996, par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs pour négocier, de façon exclusive, avec les producteurs relevant de la compétence fédérale, afin de conclure des accords-cadres.

Introduction

Une loi sur le droit d’auteur doit s’inscrire dans une vision politique large et aux finalités claires.

Le gouvernement veut-il favoriser l’expression culturelle canadienne, encourager la créativité, proposer à ses citoyens d’accéder à une culture diversifiée et riche de propositions créatives libres et variées, une culture qui contribue à rehausser la qualité de vie des Canadiens, leur autonomie de pensée et leur compréhension du monde ?

À l’opposé, le gouvernement veut-il plutôt renforcer une logique de consommation au plus bas coût, laisser croire aux Canadiens qu’il est possible d’accéder gratuitement à tout contenu culturel et de le modifier à loisir, laisser le rouleau-compresseur d’Hollywood, de la Silicon Valley et des GAFA nous dicter leurs lois commerciales en appauvrissant les artistes d’ici ?

Toutes ces questions doivent orienter l’examen de la Loi sur le droit d’auteur. C’est une occasion unique de stimuler la croissance économique de l’industrie culturelle tout en responsabilisant les utilisateurs.

Il s’agit donc de définir un projet de société dont la loi est le reflet juridique et non une fin en soi.

Il nous paraît essentiel de rappeler que le concept de droit d’auteur englobe la notion de droits économiques, qui accorde au titulaire de droits un paiement pour une utilisation autorisée, ainsi que la notion de droit moral, qui confère le droit au créateur de protéger la manière dont son œuvre est utilisée.

Au fil de ce mémoire, nous présenterons une à une les modifications et ajustements qui nous semblent indispensables pour que vivent décemment les artistes, pour que les utilisateurs en profitent et pour que rayonne la culture canadienne.

Les écrivains de métier, espèce en voie de disparition ?

La Loi de 2012, avec ses nombreuses exceptions qui ne prévoient pas de rémunération pour les artistes et les écrivains, a dépouillé injustement les créateurs de leurs revenus.

Les écrivains ont été particulièrement touchés, et il est important de souligner qu’ils subissent une précarité inquiétante. Vivre de sa plume est désormais un exploit dans notre pays, et le nombre d’écrivains en mesure de travailler sereinement en sachant qu’ils recevront une juste rémunération pour leurs créations est anormalement faible. Au Canada, les écrivains gagnent 27 % moins de leur travail littéraire qu’en 1998 ; le revenu moyen qu’ils tiraient de leur plume en 2015 était de 12 879 $ et le revenu médian inférieur à 5 000 $.1 Au Québec, le revenu médian des écrivains de langue française était de 2 450 $ en 2008.2

Si cette situation devait perdurer, il est probable que le métier d’écrivain se limitera à quelques auteurs populaires, privant ainsi le public d’une diversité culturelle indispensable à une société qui se prétend ouverte.

L’éducation : « le » sujet prioritaire

Les écrivains fournissent une part importante de la matière première du système d’éducation, une matière première dont le gouvernement conservateur de Stephen Harper voulait rendre l’accès gratuit en s’appuyant sur l’utilisation dite « équitable », au sens défini par la Cour suprême en 2004 dans l’arrêt CCH.3 L’absence d’obligation claire pour les établissements d’enseignement de rémunérer les auteurs pour l’utilisation de leurs œuvres a constitué un préjudice sans précédent.

Selon l’article 29, il est légal d’utiliser une œuvre protégée à condition que l’usage soit destiné à l’une des fins citées dans l’article (« aux fins d’étude privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou de satire ») et qu’il soit « équitable ». Ce qui n’est pas indiqué, toutefois, c’est quelle portion de l’œuvre peut être utilisée sans qu’il y ait violation de droit d’auteur.

Ce flou a provoqué, comme prévu, une judiciarisation des rapports entre les créateurs et les utilisateurs : le conflit qui oppose la société de gestion Access Copyright et la York University ; la poursuite de toutes les commissions scolaires de l’Ontario ainsi que les ministères de l’Éducation de toutes les provinces (sauf le Québec et l’Ontario) contre Access Copyright ; l’action collective de Copibec contre l’Université Laval. (Cette dernière université a décidé, de son propre chef et sans l’approbation des tribunaux ou de la Loi, que l’utilisation équitable permet de reproduire un « court extrait » allant jusqu’à 10 % de l’œuvre ou à un chapitre, précisant dans sa politique que « dans chaque cas où l’on envisage d’utiliser un court extrait, il importe de se prévaloir de la plus avantageuse des possibilités offertes. »)

Ces trop nombreuses et imprécises exceptions ont eu comme effet de réduire les revenus des écrivains et éditeurs provenant de la gestion collective de 30 millions $ depuis 2012.4 Ces paiements provenant de licences secondaires représentaient jusqu’à 20 % des revenus des écrivains avant l’introduction de l’exception pédagogique.5

Introduire dans la Loi des mesures spécifiques au secteur de l’enseignement était une intention qui pouvait paraître louable, mais l’élargissement de la notion floue « d’utilisation équitable » a fragilisé l’industrie de l’édition et ses artisans. À long terme, la qualité du matériel éducatif sera sans aucun doute compromise.

Les exceptions

Article 29 : « L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d’auteur. » L’absence de définition du terme « éducation » permet à tout organisme offrant une quelconque formation de prétendre faire partie du secteur de l’éducation et de se prévaloir du droit à l’utilisation « équitable » sans rémunérer les ayants droit.

Selon l’article 30.04 (1) à (6), « Œuvre sur Internet », les établissements d’enseignement peuvent, à des fins pédagogiques, reproduire, communiquer à distance et exécuter en public une œuvre accessible sur Internet, si la source est mentionnée et s’il n’y a pas de mesure technique de protection. Cette exception contredit un principe de base en droit d’auteur : une œuvre est protégée dès qu’elle existe sous une forme matérielle quelconque (ce qui inclut le numérique), sans autre formalité. Cette exception abolit, dans un cadre éducatif, cette protection au profit des utilisateurs des œuvres et oblige les artistes et les écrivains à utiliser des mesures techniques de protection. La responsabilité qui incombe à l’auteur de protéger son œuvre est disproportionnée, une personne seule ne peut régir Internet.

Article 30.01 (6) c) : à des fins d’éducation à distance, un établissement d’enseignement peut transmettre à un élève une œuvre protégée dans le cadre d’une « leçon », terme dont la portée n’est pas précisée. L’établissement doit prendre des mesures « dont il est raisonnable de croire » qu’elles empêcheront « les élèves de la fixer, de la reproduire ou de la communiquer », mais la sanction prévue si l’établissement ne le fait pas est- elle dissuasive ?

L’article 29.21, exceptions pour le « contenu non commercial généré par l’utilisateur », légalise l’utilisation de contenus protégés par des usagers qui souhaitent s’en servir, voire les modifier, afin de créer une œuvre nouvelle diffusée en format numérique et « à des fins non commerciales ». Cette pratique, faut-il le souligner, était répandue sur Internet avant les modifications à la Loi en 2012. Le problème avec l’article 29.21, c’est sa formulation générale qui permet à quiconque de créer sur Internet (ou ailleurs) n’importe quelle œuvre nouvelle dérivée d’une œuvre antérieure, y compris par une traduction, une adaptation, etc., en ignorant complètement la notion de droit moral. En effet, nombre de contenus générés par les utilisateurs détournent et trahissent l’esprit des œuvres utilisées, et la mention de la source ou des sources ne constitue pas une compensation pour les artistes. Une telle exception annule le droit de l’auteur à préserver l’intégrité de son œuvre, ce qui est au cœur de ses droits moraux, et encourage le piratage. De plus, l’exception de contenu généré par l’utilisateur prive également l’ayant-droit de la possibilité de tirer une rémunération de cette exploitation particulière de son droit d’auteur, alors qu’elle profite à des tiers comme YouTube, Facebook et autres.

L’article 29.22, sur la « Reproduction à des fins privées », rend légale diverses reproduction de l’intégralité ou d’une part importante d’une œuvre à des fins privées, sans les définir. Le libellé des conditions, flou, empêche tout contrôle et requiert encore l’intervention des tribunaux pour l’obtention d’une stabilité juridique.

Dans les articles 79 à 88, sur la copie pour usage privé, l’absence d’élargissement des redevances pour la copie privée aux nouveaux supports numériques, dont les baladeurs, disques durs, clés USB, liseuses, etc., contredit l’un des objectifs du législateur en 2012, à savoir la modernisation de la Loi et sa mise à jour afin de répondre aux défis du numérique. Puisque les tribunaux ont déjà établi que, selon eux, les nouveaux supports numériques n’étaient pas compris, c’est au législateur de prendre ses responsabilités et d’ajouter clairement dans la Loi que l’achat de ces supports doit entraîner une compensation pour les artistes.

Les sanctions

Les dommages et intérêts préétablis dans la Loi sont tellement minimes qu’ils perdent tout effet dissuasif : « dans le cas des violations commises à des fins non commerciales, pour toutes les violations — relatives à toutes les œuvres données ou tous les autres objets donnés du droit d’auteur —, des dommages-intérêts, d’au moins 100 $ et d’au plus 5 000 $, dont le montant est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence. » (Article 38.1 b)

Cela signifie dans les faits qu’un écrivain dont les œuvres ont été reproduites et utilisées sans son consentement et sans rémunération, à des fins non commerciales, pourra recevoir un maximum de 5 000 $ et ce, après avoir payé des frais juridiques qui risquent de dépasser largement cette somme. Ce qui dissuade les artistes à défendre leurs droits et encourage la contrefaçon.

Conclusion

Les modifications apportées à la Loi en 2012 ont multiplié les exceptions sans prévoir de rémunération pour les artistes et les écrivains, en niant leur droit d’autoriser ou non l’utilisation de leurs œuvres, en sapant leur droit moral et en fixant des amendes dérisoires eu égard aux frais à encourir. La Loi comporte des termes flous qui créent de l’incertitude et ont provoqué des litiges, car il faut s’en remettre aux tribunaux pour les interpréter. La Loi compromet également le travail de négociation réalisé depuis des années avec succès par les sociétés de gestion des droits de reproduction et fragilise l’industrie du livre.

Recommandations de l’UNEQ

  • Que Patrimoine canadien, en amont, définisse précisément dans quel projet politique et de société s’inscrit la Loi et en mesure les impacts.
  • Que Patrimoine canadien soit étroitement impliqué dans le processus d’examen de la Loi.
  • Que le terme « éducation » de l’article 29 soit mieux défini afin qu’il ne permette pas une utilisation abusive des œuvres.
  • Que la Loi encadre l’utilisation équitable y compris aux fins de parodie et de satire, de façon à en restreindre la portée et assurer le respect du droit moral.
  • Abroger les articles 29.21, 29.22, 30.04 et 30.06.
  • Définir et circonscrire les autres exceptions selon le principe suivant : toute exception ne devrait exister que dans les seuls cas où l’accès aux œuvres est impossible autrement. Une exception doit demeurer… exceptionnelle.
  • Élargir les redevances pour la copie privée aux nouveaux supports numériques.
  • Les dommages-intérêts doivent être proportionnels aux violations commises et avoir un effet dissuasif.

Notes

  1. The Writers’ Union of Canada. Devaluing Creators, Endangering Creativity, May 2015.
  2. Observatoire de la culture et des communications du Québec. Les écrivains québécois. Portrait des conditions de pratique de la profession littéraire au Québec 2010, 13 septembre 2011.
  3. CCH Canadienne Ltée. c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339.
  4. Menzies, Heather. « The copyright act needs to be edited – for writers’ survival », The Globe and Mail, 15 janvier 2016.
  5. The Writers’ Union of Canada, Union des écrivaines et des écrivains québécois. La rémunération des écrivains canadiens pour leurs œuvres littéraires : étude comparative, 27 septembre 2017.