Lettre à Yvan Godbout

Cher Yvan,

En lisant le journal lundi dernier, je déprimais devant les mauvaises nouvelles qui s’enlignaient : le ravage des drogues, du réchauffement climatique, de la guerre, de la malbouffe chez les enfants… Rien de nouveau sous le soleil, tu me diras. Quand même, je trouvais ça lourd pour un lundi matin.

Un titre a attiré mon attention. Intrigué, je me suis redressé. Un producteur annonçait son intention de prendre une option sur la collection complète des Contes interdits ! Déjà que les adaptations ne courent pas les rues, qu’on s’intéresse à une collection entière est inédit. C’est rare et c’est formidable !

La collection de romans d’horreur « pour lecteurs avertis » à laquelle tu participes fait déjà le bonheur de dizaines, voire de centaines de milliers de lecteurs. Il suffit de voir les titres, les tiens et ceux de tes confrères et consœurs, qui trônent dans les palmarès ainsi que les longues files de lectrices et de lecteurs venus vous rencontrer dans les salons pour constater sa popularité.

Je me suis réjoui pour la gang d’autrices et d’auteurs des Contes. Vous avez une proposition originale qui fonctionne merveilleusement bien. En plus, il y a une énergie rare et une amitié sincère qui se dégage du groupe. Vous êtes beaux à voir et vous méritez amplement cette annonce !

La collection des Contes roule déjà (très) fort. L’annonce d’éventuelles adaptations ne peut que contribuer à mieux la faire connaître auprès du grand public et à attirer de nouveaux lecteurs. Par la bande, c’est toute la littérature québécoise (de genre et pas de genre) qui est gagnante.

Cette annonce, elle faisait ma journée. Mais cette dernière s’est assombrie quelques heures plus tard quand j’ai vu ta publication sur Facebook. Tu avais décidé de mettre un terme à ta carrière d’écrivain.

Pas parce que le producteur a déclaré qu’Hansel et Gretel ne serait pas adapté – tu as d’autres titres dans les Contes interdits –, mais parce que chaque fois que ton nom apparaît dans un article, chaque fois qu’un journaliste parle de toi, il t’accole automatiquement ces mots qui te font tant souffrir, ce rappel des accusations injustes qui te sont tombées dessus.

Il y a toujours quelqu’un pour rouvrir la blessure que tu as subie et t’empêcher de guérir.

Pire encore, à la fin de la journée, dans un article qui faisait état de ta décision, le journaliste ouvrait son texte avec la mention des accusations. Celui-là n’avait visiblement pas compris le trouble profond que tu avais pris soin d’exprimer. Bien sûr, cette triste épreuve fait partie de ton histoire, mais je sais aussi que ce n’est pas ça qui te définit.

Mike Ward s’est retrouvé devant la Cour suprême à peu près en même temps que tu affrontais la justice. Comme toi, il a gagné son procès. Les articles qui parlent de lui s’ouvrent-ils toujours par « l’humoriste accusé de diffamation » ? Non. (Je suis allé vérifier. Le plus récent parlait de son podcast et le second de sa nouvelle blonde, si tu veux savoir.)

J’aimerais que tu bénéficies de la même attention. J’aimerais que les prochains articles où apparaîtront ton nom parlent de ton nouveau roman à venir et que de lui, pas de ce qui t’est arrivé. J’aimerais qu’on tourne la page afin que tu puisses guérir de cette blessure dont tu n’es pas responsable.

J’aimerais que le « narratif » change. Qu’on ne te présente plus comme « l’auteur accusé au criminel pour un roman d’horreur », mais comme « Yvan Godbout, champion de la liberté d’expression ».

Le milieu littéraire québécois ignore encore ce que tu as fait pour lui. Le milieu littéraire… Je devrais plutôt écrire « les artistes ». Les artistes partout au Canada, toutes disciplines confondues, ne se rendent pas compte de ce que tu as accompli pour eux.

Cette tuile qui t’est tombée dessus aurait pu frapper des centaines d’autres écrivaines ou écrivains. En te tenant debout, tu as fait invalider toute une série d’articles du Code criminel du Canada. C’est notre liberté de création et d’expression à toutes et à tous que tu as défendue, bien malgré toi.

Tu peux dire que ton petit cœur est trop faible pour continuer, Yvan, mais je crois qu’il est plus fort et plus résilient que tu ne le crois. Mais je comprends aussi le long chemin que tu as parcouru seul, ta douleur, ton exaspération et ta décision.

Je regrette sincèrement que tu en sois arrivé là.

On n’a pas su te protéger.

Tu peux marcher la tête haute, mon cher Yvan, parce que d’un bout à l’autre du pays, on t’en doit collectivement une grosse qu’on ne pourra jamais payer.

 

Pierre-Yves Villeneuve,
Président de l’UNEQ