Entrevue avec Normand Baillargeon, essayiste et chroniqueur

Essais et livres pratiques : comment investir les médias ?

Normand Baillargeon est professeur en éducation retraité de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et essayiste (membre de l’UNEQ). Il s’est d’abord fait connaître du public par ses chroniques dans Le Devoir de 1994 à 1999. Tout en enseignant, il a collaboré à des médias alternatifs comme le journal Le Couac ou la revue À bâbord ! ainsi qu’à la radio de Radio-Canada. À ce jour, il a signé une quarantaine de titres (sans compter les ouvrages collectifs, les traductions, etc.).

Propos recueillis par Marie-Andrée Boivin

L’Unique : Vos essais ont-ils précédé votre visibilité dans les médias ou est-ce l’inverse ?

Normand Baillargeon : J’ai d’abord commencé par une chronique au Devoir, en 1994, sur l’éducation et ensuite sur la politique. Je faisais au départ une chronique sur le domaine dans lequel j’enseignais, l’éducation. Je participais à des collectifs, sans plus. Mais par la suite j’ai fait des allers-retours entre les médias et mes essais. Parfois, le point de départ de mes interventions dans les médias était mes essais, mais parfois aussi le contraire, des chroniques à la radio pouvaient m’amener à écrire un essai.

J’ai aussi beaucoup écrit dans les médias alternatifs. J’ai plus tard écrit des livres de philo et Radio-Canada m’a invité à en parler, ce que j’ai fait tous les dimanches les cinq dernières années (Dessine-moi un dimanche). Tout ça s’est entremêlé avec ma carrière universitaire.

J’ai participé avec beaucoup de textes, des centaines, à des médias alternatifs comme AO, Espace de la parole, Le Couac et depuis 14 ans, cinq fois par an, la revue À bâbord !. Quelques-uns de ces textes se sont retrouvés dans mes livres.

Mes 200 chroniques de philosophie à Radio-Canada, je pourrais en tirer un livre. Mais mes essais donnent aussi prétexte à des interventions dans les médias.

L’Unique : Quand vous intervenez dans les médias, le faites-vous bénévolement ?

Normand Baillargeon : Quand je travaillais au Devoir, je recevais un cachet en tant que chroniqueur. C’était un engagement pour plusieurs semaines. À Radio-Canada, ma chronique philosophique faisait l’objet d’un contrat, avec des obligations précises : remettre mon sujet le mercredi, envoi d’un aide-mémoire pour l’animateur le vendredi. J’étais donc rémunéré. Mais pour le reste, la majorité des textes que j’ai écrits dans ma vie, c’était bénévole. À bâbord !, Le Couac, Espace de la parole, la revue Kaléidoscope : ce n’était jamais payé.

L’Unique : Et lorsqu’on fait appel à vous comme spécialiste, en entrevue, comment ça se déroule ? Êtes-vous rémunéré ?

Normand Baillargeon : Je ne sais pas si ça peut se négocier, moi je n’ai jamais demandé quoi que ce soit. Ça dépend de la situation de chacun, par exemple je connais des chercheurs autonomes, indépendants, qui ne gagnent pas de salaire, dont le seul revenu c’est la capacité qu’ils ont de monnayer leurs connaissances, leurs compétences, leurs textes et leurs écrits.

Moi, pendant toutes ces années, j’étais un professeur d’université, salarié par le public. Je n’aurais jamais pensé demander quelque chose à des groupes communautaires, à des groupes de défense des chômeurs. À Radio-Canada, comme chroniqueur, je ne trouvais pas ça honteux de demander à être rémunéré pour un travail de chroniqueur.

C’est différent pour les travailleurs autonomes : on peut négocier et choisir les tâches mieux rémunérées. Moi, je fais partie des privilégiés.

L’Unique : Maintenant que vous êtes retraité de l’UQAM, quel statut vous définit ?

Normand Baillargeon : Essayiste. J’essaie.

L’Unique : Quel conseil donneriez-vous à un essayiste pour se faire connaître et mousser la vente de ses livres ?

Normand Baillargeon : Pour être franc, les essais sont difficiles à vendre. Ce qui se vend ici, c’est la psycho-pop, les livres de cuisine, les romans. Quand on descend en bas de la liste, il y a les essais et la poésie.

Il est important pour les essayistes de proposer leur expertise. Les essayistes sont nombreux et de qualité au Québec. Mais nous sommes dans une logique de proposition d’une offre plutôt que de réponse à une demande. Oui, les gens demandent des biographies, des livres de recettes. Mais si on propose ce que les essayistes ont à dire, si on le fait en s’efforçant d’être compréhensible, d’une manière pas arrogante, pédagogique, si on offre ça, les gens sont intéressés à l’entendre.

L’Unique : Mais ça ne passe pas toujours la rampe dans les médias…

Normand Baillargeon : Contrairement à d’autres écrivains, il faut montrer que ce que l’on dit est pertinent. En présentant les choses de façon pédagogique, on découvre que les gens sont intéressés.

L’Unique : Comment s’y prendre ?

Normand Baillargeon : C’est vrai que souvent, les questions que nous abordons sont complexes, appellent des réponses nuancées. Ça se fait bien dans un livre, mais quand on participe à la conversation démocratique, on devrait faire preuve de pédagogie, ce qui ne veut pas dire de simplifier à outrance, mais de s’efforcer de parler pour être compris. Il y a des physiciens qui réussissent à expliquer la physique quantique au grand public, il faut aussi être capable d’expliquer la dette du Québec.

Il faut faire comprendre le message. Les gens qui veulent en savoir plus pourront aller vous lire par la suite. On ne peut pas faire passer en sept minutes d’entrevue à la radio le contenu fin d’un ouvrage, mais on peut en faire sentir l’intérêt. C’est ça, le travail pédagogique. Donner le goût. C’est proche de l’enseignement à l’université. En trois heures d’enseignement, on ne peut pas tout expliquer de la démarche d’un grand philosophe, mais on initie un débat, on intéresse les étudiants qui pourront poursuivre la démarche.

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