Le Comité chargé de l’examen de la Loi sur le droit d’auteur méprise les créateurs

Montréal, 5 juin 2019 — Après plus d’un an de travail, le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes (Comité INDU) a dévoilé un rapport très attendu dans le cadre de l’examen la loi canadienne sur le droit d’auteur. L’UNEQ dénonce avec indignation les recommandations de ce rapport, qui font fi de toutes les revendications des créateurs.

La Loi sur le droit d’auteur a été modifiée en 2012 par le gouvernement conservateur de Stephen Harper, avec des impacts douloureux pour les créateurs. Entre autres, de nouvelles exceptions ont permis aux institutions et aux individus d’utiliser des œuvres sans rémunérer les auteurs. Les créateurs qui s’estiment lésés doivent engager eux-mêmes des recours devant les tribunaux, mais les dommages-intérêts préétablis dans la Loi sont tellement minimes qu’ils perdent tout effet dissuasif.

Les ravages de l’exception « équitable » en éducation

En ce qui concerne l’enjeu numéro un pour les écrivains et les créateurs, l’exception soi-disant équitable dans le secteur de l’éducation, la recommandation du Comité INDU se lit comme suit : « Que le gouvernement du Canada envisage d’aider à faciliter les négociations entre le secteur de l’éducation et les sociétés de gestion du droit d’auteur afin d’en venir à un consensus sur l’avenir de l’utilisation équitable à des fins d’éducation au Canada. » Vous avez bien lu : que le gouvernement « envisage d’aider à faciliter les négociations ». Nous sommes loin d’une proposition concrète !

Les consultations menées par le Comité INDU depuis avril 2018 ont pourtant jeté une lumière crue sur les dégâts provoqués par cette exception dite équitable en éducation : en modifiant la Loi sur le droit d’auteur en 2012 pour introduire cette exception sans définir la portée du terme « éducation », le gouvernement conservateur a permis à n’importe quel organisme offrant une quelconque formation de reproduire des œuvres de manière très large, en faveur des utilisateurs et au détriment des ayants droit.

La Loi de 2012 a donc permis l’utilisation gratuite d’œuvres qui, auparavant, étaient sous licence avec les sociétés de gestion collective de droits de reproduction — les écrivains connaissent bien Copibec, au Québec, et Access Copyright ailleurs au pays. Dès janvier 2013, toutes les provinces, sauf le Québec, ainsi que de nombreuses institutions d’enseignement ont cessé de payer des redevances pour les droits de reproduction. En 2014, au Canada anglais, 28 universités n’ont pas renouvelé leurs licences avec Access Copyright et ont modifié leur politique du droit d’auteur en fonction de l’utilisation « équitable », selon des critères qui n’ont jamais été fixés, ce qui a entraîné plusieurs poursuites judiciaires. (Au Québec, seule l’Université Laval a choisi cette voie, en 2014, et elle a heureusement fait marche arrière en 2018.)

Ces dérapages sont bien connus et documentés. Dans toutes les provinces, sauf au Québec, environ 600 millions de pages sont copiées et numérisées chaque année depuis 2013 sans que les créateurs obtiennent leur dû. Au Québec, la redevance universitaire par étudiant a diminué de près de 50 % depuis 2013-2014 et le montant perçu par un titulaire de droits par page reproduite a baissé de 23 %.

Un sondage mené par l’UNEQ auprès de ses membres pendant l’été 2018 a révélé que plus du quart (27 %) des répondants ont subi une perte de revenus provenant de Copibec et d’Access Copyright depuis 2014. Plusieurs études, sondages et témoignages ont démontré que la Loi de 2012 a entraîné un recul important des revenus des écrivains et des artistes, à un tel point que la classe moyenne des artistes est en voie de disparition.

L’exception supposément « équitable » contrevient aussi à des obligations découlant de traités internationaux sur la propriété intellectuelle et le commerce signés par le Canada : la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (gérée par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, OMPI), le Traité sur le droit d’auteur de l’OMPI, l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, texte annexé à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce), etc.

« Au lieu de prendre la mesure des dommages causés par l’exception équitable et de proposer des solutions, le Comité INDU jette de l’huile sur le feu », déplore Suzanne Aubry, présidente de l’UNEQ. La recommandation 18, qui invite le gouvernement à déposer un projet de loi pour modifier l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur afin que la liste de fins visées par l’exception relative à l’utilisation équitable en soit une indicative plutôt qu’exhaustive, ouvre en effet la porte à des abus encore plus flagrants. « Une liste indicative est évidemment plus imprécise qu’une liste exhaustive », poursuit Suzanne Aubry.

C’est justement le manque de précision de la Loi, depuis 2012, qui favorise la judiciarisation des rapports entre les utilisateurs des œuvres et les créateurs.

Une gifle au Comité permanent du patrimoine canadien

Au début du processus d’examen de la Loi, le Comité INDU a invité le Comité permanent du patrimoine canadien à effectuer en parallèle une étude des modèles de rémunération pour les artistes et les créateurs.

Cette étude, dévoilée le 15 mai dernier, comporte 22 recommandations sensibles à la réalité des écrivains et des artistes. Mises en œuvre, ces recommandations hausseraient le soutien aux créateurs, lutteraient contre le piratage, règlementeraient les services de diffusion de musique en continu, clarifieraient ou élimineraient des exceptions qui ne protègent pas les œuvres littéraires et artistiques, étendraient des droits moraux et économiques, et plusieurs autres. Ce rapport, très bien articulé et étayé, est animé par une vision d’un droit d’auteur respectueux des créateurs, désireux de soutenir la production culturelle tout en favorisant l’accès aux œuvres.

L’une des recommandations clés du Comité permanent du Patrimoine, en ce qui concerne notamment les écrivains, consiste à modifier la Loi « pour préciser que les dispositions relatives à l’utilisation équitable ne s’appliquent pas aux établissements d’enseignement si l’œuvre est accessible sur le marché ». Cette recommandation reflète un consensus bien établi dans le milieu de l’édition.

Or, le Comité INDU, de son propre aveu, n’a même pas pris connaissance de cette étude avant de déposer son rapport, ignorant ainsi complètement les recommandations du Comité permanent du patrimoine canadien. C’est un geste de mépris, non seulement pour les créateurs, mais aussi pour le ministère du Patrimoine canadien qui aurait dû, au point de départ, être le maître d’œuvre du processus d’examen de la Loi sur le droit d’auteur.

Tuer le débat dans l’œuf

Dernier clou dans le cercueil, le Comité INDU recommande que le gouvernement du Canada dépose un projet de loi visant à éliminer l’obligation de mener un examen de la Loi tous les cinq ans.

Sans cette obligation introduite en 2012, les créateurs n’auraient pas eu une telle tribune pour se faire entendre à Ottawa. La Loi de 2012 n’aurait pas été publiquement disséquée, critiquée et contestée, aucun débat n’aurait eu lieu. C’eût été le règne du statu quo. Il semble que ce soit le souhait du Comité INDU, qui pourrait renommer la Loi sur le droit d’auteur la Loi sur le droit des utilisateurs.

« Le 23 avril dernier, avec 15 organisations professionnelles représentant quelques 200 000 artistes, nous lancions la campagne Une vie sans art, vraiment ? pour attirer l’attention du grand public sur les dangers de cette loi et la nécessité de la renforcer », rappelle Laurent Dubois, directeur général de l’UNEQ. « Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que les créateurs et leurs œuvres sont plus que jamais menacés. Le gouvernement du Canada a en main deux rapports contradictoires provenant de deux comités que tout oppose. Il devra faire un choix crucial et déterminant pour exprimer sa vision de la culture dans la société canadienne. »

⇒ Pour consulter le rapport du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie, cliquez ici.

⇒ Pour consulter le rapport du Comité permanent du patrimoine canadien, cliquez ici.

⇒ Pour consulter le communiqué de l’UNEQ sur le rapport du Comité permanent du patrimoine canadien, cliquez ici.

⇒  Pour la campagne Une vie sans art, vraiment ?, cliquez ici.

⇒ Pour consulter le dossier de l’UNEQ sur l’examen de la Loi sur le droit d’auteur, cliquez ici.

À propos de l’UNEQ

Créée en 1977, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois regroupe plus de 1 600 poètes, romanciers, auteurs dramatiques, essayistes, auteurs pour jeunes publics et auteurs d’ouvrages scientifiques et pratiques. L’UNEQ travaille à la promotion et à la diffusion de la littérature québécoise, au Québec, au Canada et à l’étranger, de même qu’à la défense des droits socioéconomiques des écrivains.

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Source : Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ)

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